Qu'est-ce que la privatisation de l'éducation et pourquoi s'en inquiéter ?

La privatisation de l’éducation est au cœur des préoccupations des acteurs de l’éducation. Mais qu’entendons-nous par « privatisation de l’éducation » exactement ? Pourquoi ce phénomène grandissant nous (défenseurs du droit à l’éducation) inquiète autant ?

© Campagne mondiale pour l'éducation

La montée de la privatisation de l’éducation est un constat partagé dans le monde entier et prouvé par de nombreuses recherches au cours des 10 à 15 dernières années. Elle touche particulièrement les pays aux structures de gouvernance les plus fragiles et les niveaux du préprimaire et du secondaire. En Haiti, les établissements privés représentent 90% du système scolaire, et entre 60 et 85% au Cameroun et en République démocratique du Congo.

Le service public de l’éducation est dans beaucoup de pays délaissé par les Etats au profit d’acteurs privés. Décryptage d’un phénomène souvent mal compris qui menace l’objectif d’éducation gratuite et de qualité pour toutes et tous que se sont fixés les Etats.

La privatisation de l’éducation, c’est quoi ?

La « privatisation de l’éducation » est le processus par lequel une proportion croissante d’un système éducatif est détenu, financé ou géré par des acteurs non gouvernementaux. Une « école privée » se définit par une école qui n’est pas gérée ni administrée par l’État. Il existe plusieurs formes d’école privée et de nombreuses façons pour le secteur privé de s’impliquer dans la prestation de services d’éducation.

Parmi les écoles privées, il est important de distinguer les écoles à but non lucratif (d’organisations non gouvernementales ou des groupes confessionnels) des écoles d’entreprises privées commerciales à la recherche de profits, dites « écoles marchandes ». Ces écoles « marchandes » imposent des frais « officiels », ou ce qu’on appelle des frais « officieux », c’est à dire que les écoles n’affichent officiellement aucun frais de scolarité mais les principaux et les enseignants exigent aux élèves de payer pour pouvoir être scolarisés.

Cette privatisation de l’éducation est liée au développement d’entreprises internationales - dont bon nombre sont basés aux États-Unis ou au Royaume-Uni - qui perçoivent le secteur éducatif dans les pays fragiles comme un marché lucratif dans lequel ils peuvent faire des profits significatifs. Par exemple, les écoles Bridge International Academies (propriété américaine), Omega Schools (propriété du Royaume-Uni et du Ghana) et APEC (propriété des Philippines et du Royaume-Uni). Dans une étude publiée en 2017, le Partenariat mondial pour l’éducation a identifié 28 sociétés qui investissent à l’international dans l’éducation privée dans les pays en voie de développement, et notamment en Afrique subsaharienne.

Certaines des principales formes d’éducation privée au niveau mondial sont :

  • les écoles privées soi-disant « à bas coût » ;
  • les partenariats public-privé où les opérateurs privés opèrent et gèrent des écoles ostensiblement « publiques », parfois en dégageant des profits, parfois appelées les écoles « sous contrat » ;
  • les « chèques » ou les bourses gouvernementales individuelles pour couvrir ou subventionner les frais des écoles privées ;
  • et les écoles soi-disant « de l’ombre » sous forme de cours ou d’accompagnement payant après l’école.

 

Quels en sont les dangers ?

Les preuves disponibles indiquent que ces formes d’éducation privée entraînent des violations du droit à l’éducation et créent des obstacles de taille pour la réalisation d’une éducation équitable et de qualité pour tou-te-s.                                         

Nous (ONU, organisations des droits humains) sommes profondément préoccupés par la façon dont la privatisation et la marchandisation croissantes de l’éducation impactent l’évolution vers la réalisation du droit à l’éducation et vers une éducation gratuite et de bonne qualité pour toutes et tous.

« Les preuves réunies par les universitaires, les groupes de réflexion et autres, indiquent clairement les dangers des tendances actuelles à la privatisation. En particulier, le développement de l’éducation lucrative et payante contribue à l’accroissement des inégalités et de l’exclusion des systèmes éducatifs, tout en détournant les fonds plus que nécessaires des approches du secteur public qui pourraient atteindre les objectifs d’universalité, d’équité et de qualité. C’est la raison pour laquelle nos campagnes visent les acteurs à la recherche de profits et payants. » Campagne mondiale pour l’éducation.

Tous les enfants doivent avoir accès à l’éducation de qualité sans frais, qu’ils soient officiels ou officieux, sachant que les familles doivent souvent assumer d’autres coûts liés à la scolarité (manuels scolaires, uniformes, repas etc.). L’État a une responsabilité permanente d’assurer une éducation de bonne qualité pour tous ses enfants - qui passe par la régulation des acteurs privés dans l’éducation - et a une position unique qui lui permet d’assurer la durabilité. L’État doit promouvoir et investir dans un système éducatif fort pour tou-te-s, et non pas dépendre du secteur privé.

 

Cet article s'inspire du document Bien public contre profits privés : Boîte à outils pour la société civile afin de résister à la privatisation de l’éducation de la Campagne mondiale pour l'éducation (publié en mars 2018).