Lettre ouverte à la Banque mondiale et ses bailleurs contre l'utilisation de l'aide au développement pour financer une éducation à but lucratif

Nous, signataires de la présente lettre, vous demandons expressément de veiller à ce que l’aide au développement destinée à l’éducation soutienne une éducation publique gratuite, de qualité et accessible à toutes et tous, indépendamment de toute considération discriminatoire liée au statut socio-économique, à l’identité de genre, à l’origine ethnique ou au handicap.

L’éducation est un droit humain ainsi qu’un élément essentiel de la réalisation des Objectifs de développement durable. Lorsqu’elle est gratuite, publique et de bonne qualité, l’éducation contribue à éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités économiques et de genre, favoriser une citoyenneté active, protéger les communautés et l’environnement et à forger des sociétés ouvertes et stables. Au cours des vingt dernières années, l’expansion de l’éducation publique et gratuite a donné lieu à des progrès considérables dans le domaine de l’éducation. Toutefois, de nombreux pays ne sont pas parvenus à mobiliser les ressources suffisantes pour mettre en place des systèmes d’éducation publique et inclusive de qualité. Par conséquent, des écarts inacceptables sont encore à déplorer : les enfants vivant dans les zones de confli et d’apres-conflit, les filles, les enfants vivant avec un handicap, les minorités, les réfugié-e-s, les personnes LGBTI+ et les populations les plus pauvres demeurent loin derrière les plus privilégié-e-s en matière d’accès à l'éducation, d'achèvement de la scolarité et de réussite scolaire.

Au lieu d’intervenir à l’aide d’investissements accrus dans l’éducation financés par une fiscalité progressive, certains pays ont permis à des acteurs commerciaux ou autres entreprises privées de se développer, estimant qu’il s’agissait d’un moyen plus rapide et moins onéreux de fournir une éducation de qualité. Toutefois, les écoles privées à bas coûts n'offrent pas un accès équitable aux filles et aux enfants les plus pauvres [1]. Elles présentent le risque d’exclure les écoliers et écolières ayant des besoins particuliers, dont les enfants qui étaient auparavant déscolarisés. Des études indiquent que le financement public des écoles privées creuse les inégalités en matière d’éducation et ne parvient pas à produire de manière constante de meilleurs résultats d’apprentissage [2]. Par ailleurs, par souci d’économies, les écoles à but lucratif dépendent souvent d’enseignant-e-s sous qualifié-e-s et sous rémunéré-e-s. Elles sont peu transparentes et rendent peu de comptes ; elles contournent des lois et règles importantes en matière d’éducation, compromettant la capacité d’un pays à appliquer des standards éducatifs équitables pour toutes et tous [3].

Certains bailleurs utilisent désormais activement les ressources de l’aide publique afin d’alimenter la marchandisation de l’éducation dans des pays à revenu faible, y compris au sein du Groupe de la Banque mondiale. Si ses financements sont majoritairement destinés à soutenir la mise en œuvre d’une éducation publique, la Banque mondiale finance également des partenariats public-privé (PPP) motivés par le marché par le biais de son Association internationale de développement (IDA). Elle conseille activement aux pays de former des PPP ainsi que d’adopter des réformes visant à déréguler le secteur et favorisant la croissance de « marchés de l’éducation » privés [4]. Le Groupe a également renforcé son soutien aux fournisseurs d’éducation privée commerciale par le biais de la Société financière internationale (IFC), dont le portefeuille inclut des chaines d’écoles payantes [5], à but lucratif, qui sapent clairement les obligations de l’État, telles que définies dans le droit international relatif aux droits humains.

Parallèlement, le Parlement européen et le Partenariat mondial pour l’éducation (PME - le plus grand fonds multilatéral pour l’éducation) se sont fortement positionnés contre l’allocation de leur financement en faveur d’une éducation commerciale ou à but lucratif. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et plusieurs organes conventionnels des Nations unies ont reconnu l’obligation de fournir une éducation gratuite et publique, non commercialisée, afin de respecter le droit à l’éducation [6]. Ces positions soutiennent le principe selon lequel l’éducation est un droit et non une marchandise. Investir dans une éducation publique gratuite et inclusive de qualité est le meilleur moyen de soutenir la réalisation du 4ème Objectif de développement durable.

Les bailleurs de fonds ont une grande influence sur l'utilisation de leurs contributions financières au Groupe de la Banque mondiale, comme actuellement lors de la 19ème reconstitution de l’IDA ou au sein d’autres espaces de financement de l’éducation. Nous appelons tous les bailleurs de fonds et le Groupe de la Banque mondiale à se positionner clairement en faveur d’une éducation gratuite et publique et contre l’utilisation de l’aide au développement pour financer une éducation commerciale ou à but lucratif.

Lorsque vous financez l’éducation avec de l’argent public, assurez-vous que vous soutenez une éducation gratuite, publique et de qualité !

 

Lettre en anglais et liste des 173 organisations signataires, issues de 63 pays dans toutes les régions du monde.

NOTES

[1] Day Ashley L., et al. (2014) The role and impact of private schools in developing countries: a rigorous review of the evidence, DFID ; Srivastava, P. (2013) “Low-fee private schooling: issues and evidence” in P. Srivastava (Ed.) Low-fee Private Schooling: aggravating equity or mitigating disadvantage? Oxford Studies in Comparative Education Series (Symposium Books, Oxford, 2013).
[2] K.M. Bous et J. Farr (2019) False Promises: How delivering education through public-private partnerships risks fueling inequality instead of achieving quality education for all. Note d’information d’Oxfam. 
[3] Voir par exemple : Republic of Uganda in the High Court of Uganda at Kampala, Bridge International Academies vs. Attorney General: Ruling. 16 mars 2018 ; Riep, C. (2015) Omega Schools Franchise in Ghana: A case of “low-fee” private education for the poor or for-profiteering? ESP Working Paper Series ; Kenya National Union of Teachers and Education International (2016) Bridge vs. Reality: A study of Bridge International Academies’ for-profit schooling in Kenya ; Education International, Regulatory framework for Philippine private schools and practices in APEC schools
[4] K.M. Bous et J. Farr (2019) op.cit.
[5] Baker, T. et W. Smith (2017) From Free to Fee: Are for-profit, fee charging private schools the solution for the world’s poor? RESULTS Educational Fund. 
[6] Consulter les déclarations des organes internationaux des droits de l’Homme. Voir également le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’éducation (2019), Right to education: the implementation of the right to education and Sustainable Development Goal 4 in the context of the growth of private actors in education et le rapport de 2018 du Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme concernant la privatisation et son impact sur les droits humains.