La dernière décennie a été marquée par une croissance sans précédent des acteurs privés dans l’éducation, notamment dans les pays à faibles revenus, qui est sur le point de transformer en profondeur des systèmes éducatifs déjà fragiles.
De nombreux investisseurs, comprenant des entreprises multinationales, s’impliquent à grande échelle dans le marché jugé très lucratif de l’éducation. Et ce y compris en proposant des services à bas coût, de mauvaise qualité, et visant les populations pauvres, tout en s’exonérant des régulations des Etats. La croissance de ces acteurs privés, et plus généralement, de la marchandisation de l’éducation, est particulièrement marquée au niveau du cycle fondamental (primaire et secondaire), là où les injustices sociales se creusent.
L’impact de ce mouvement en termes de qualité des contenus éducatifs, de ségrégation et d’inégalités sociales, et plus généralement, de réalisation des droits de l’Homme, en fait un défi majeur pour les acteurs et les défenseurs du droit à l’éducation tout au long de la vie. plusieurs rapports, résolutions, et recommandations de l’ONU et de la Commission Africaine des droits de l’Homme.
Depuis 2015, un consortium international d’organisations travaille sur la privatisation de l’éducation et les droits de l’Homme afin de mieux cerner les enjeux de ce phénomène et d’agir de manière collective et constructive. Au sein de ce consortium, un réseau francophone contre la marchandisation de l’éducation s’est constitué en 2016, regroupant des ONG, syndicats d’enseignants, organisations communautaires, et chercheur(e)s. La Coalition Education, le Comité Syndical Francophone de l'Education et de la Formation (CSFEF), la Fédération Internationale des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active (FI-CEMEA), la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR), le Right to Education Initiative et Solidarité Laïque sont les organisations fondatrices et motrices du mouvement.
L’objectif principal de ce réseau est de promouvoir la réflexion, le débat sur, et quand nécessaire, la mobilisation contre la marchandisation de l’éducation, afin de garantir que les systèmes éducatifs promeuvent la réalisation du droit à l’éducation, et que la présence d’acteurs privés ne remette pas en cause ce droit fondamental.
En mars 2016, le réseau francophone a organisé à Paris un séminaire fondateur qui a été l'occasion - a travers plusieurs études de cas et notamment en Haïti et au Maroc - de soulever les problèmes particulièrement inquiétants liés à la privatisation de l’éducation, et de travailler sur l’Appel de la société civile francophone contre la marchandisation de l’éducation. Cet Appel, lancé en novembre 2016 avec le soutien de plus de 300 organisations dans 38 pays, a servi de base de réflexion et de mobilisation au sein de l'espace francophone, et a permis l’introduction du paragraphe 39 dans la Déclaration d’Antananarivo, adoptée lors du XVIe Sommet de la Francophonie en novembre 2016, qui demande des efforts de régulation des écoles privées.
D’autre part, depuis 2015, divers acteurs de l’éducation ont travaillé conjointement pour développer des Principes Directeurs visant à compiler le droit des droits de l’Homme relatif aux acteurs privés dans l’éducation. Ces principes directeurs sont provisoirement appelés « Principes Directeurs de droits de l’Homme relatifs aux obligations des Etats concernant les écoles privées ». Ces derniers ont pour vocation d’être applicables et adaptables aux différents contextes et de fournir un socle solide pour le plaidoyer, le développement de politiques éducatives et l’action en justice.
Dans le prolongement de ces développements, le réseau francophone a organisé en octobre 2017 une rencontre francophone sur la privatisation et la marchandisation de l’éducation à Dakar qui a été l’occasion pour les acteurs impliqués dans la réalisation et la défense du droit à l’éducation (représentants des Etats, des organisations internationales, des ONG, des chercheurs…) de se réunir pour discuter des défis actuels que pose l’accroissement sans précédent des acteurs privés dans l’éducation, et de développer une réponse qui soit en phase avec l’histoire, les valeurs, et la culture des sociétés de la Francophonie.
Si le phénomène de privatisation de l'éducation s’est développé en particulier dans les pays anglophones, encouragés notamment par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis qui ont développé des systèmes d’éducation de plus en plus privatisés, qu’ils ont ensuite cherché à exporter dans les pays du Sud, les pays francophones ne sont pas exempts. Néanmoins, la situation des pays francophones est le sujet de peu de recherche, et la voix et la perspective des acteurs francophones sur le sujet sont peu entendues dans les débats internationaux. De nombreuses recherches et rencontres internationales sur ce sujet, qui est devenu central dans les débats internationaux sur les questions de développement, ont lieu en anglais et il est ainsi essentiel qu’une démarche comparable ait lieu au sein de la communauté francophone. Cela est nécessaire tant pour approfondir la réflexion sur un sujet qui touche les pays francophones, que pour que la perspective francophone sur le sujet, qui se nourrit d’une importante histoire et culture de services publics forts servant de base à l’intégration et au développement, puisse être développée et portée au niveau international.